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Située aux portes de Paris, Pantin est une commune dont l’histoire industrielle et urbaine est étroitement liée à celle de la Seine-Saint-Denis (93). Depuis toujours, Pantin a joué un rôle clé dans le développement de la région, marquant son paysage et son identité.

Introduction

Le nom de Pantin est un toponyme unique en France. La paroisse de Penthinum fut créée au IV siècle, autour du monastère de St Germain-des-Champs, suite à la visite du futur saint Germain, alors évèque d’Auxerre, sur le chemin romain menant de Lutèce (Paris) à Trèves (en Allemagne).

Mais elle n’est mentionnée sur les documents qu’au XIè siècle sous ce nom de Pentinum. L’ancienne orthographe a d’ailleurs longtemps été Pentin, voire Pentini. Comme “Penthinum” n’a pas de sens en latin, les linguistes supposent une racine celtique “penth-“, qui en fait signifierait “le talus” ou l’évocation d’un marécage, “pantano” en italien. Il est aussi raisonable de penser que Pentin (puis Pantin) est dérivé de pente, puisque le village s’est formé sur la côte qui montait à Romainville. La paroisse et la ville ont donc été édifiées sur un talus, sur un terrain pentu, sur une pente, c’est ce que veut dire le nom; pourquoi l’on y fabriqua du savon, c’est ce que vous aprendra cette lecture; a quel point une pente savoneuse est dangereuse, je vous laisse l’expérimenter par vous-même.

Falaise de Pantin Falaise de Pantin

Penthinum, Pentini, Penthin, Penthin-lez-Paris, Pentin, Pantin, Pantruche, Pantine … mais encore ?

Le blason de Pantin Le blason de Pantin et sa devise “Hardi Pantin en avant !”

Le blason de Pantin est officiellement « d’argent à la croix de gueule cantonnée de quatre molettes d’éperon du même », c’est-à-dire un écu blanc à croix rouge avec, dans chaque coin, une molette d’éperon également rouge. Par ailleurs, les branches de chêne et d’olivier, qui supportent l’écu de part et d’autre, semblent être des ajouts, sans doute adoptés sous le Premier Empire. Il en est de même pour la couronne qui surmonte l’ensemble. Composé d’une muraille et de tours, le motif est généralement employé pour symboliser l’autonomie d’une ville libre.

Hardi Pantin en avant !

La devise, elle traduit bien l’esprit énergique d’une ville « hardie », soit à la fois courageuse et impudente. En extrapolant, on peut y lire l’attachement des Pantinois à leur indépendance et leur souci de la défendre, notamment vis-à-vis des menées expansionnistes de Paris.

La salle des fêtes Pantin en 1911 La salle des fètes Pantin en 1905, avec le blason de la ville.

Antiquité

L'homme de Pantin L’homme de Pantin

L’histoire de Pantin commence bien avant l’ère moderne. L’un des plus anciens vestiges humains de la région, surnommé “l’homme de Pantin” (qui est en réalité celui d’une femme), a été découvert en 1845 dans une plâtrière locale. Répertorié sous le n°785 et baptisé “l’homme de Pantin”, a été exposé jusqu’en 1937 dans la galerie d’anatomie comparée du Jardin des Plantes. Ce squelette, daté d’environ 500 ans avant Jésus-Christ, témoigne de la présence humaine à l’âge de la pierre polie. Bien que certains contestent en disant qu’il s’agit du cadavre du célèbre voleur Louis Dominique Cartouche, des communautés préhistoriques ont peuplé la région, vivant sur le plateau nord-est et laissant derrière elles des objets en bronze attestant leur existence. 1

Carièrres Carrières et platrières sont les premières industries locales

La véritable naissance de Pantin en tant que village remonte à la période gallo-romaine, au IIIe siècle de notre ère, avec la construction de la grande route Lutèce-Trèves par l’empereur Julien. Cette voie, devenue la route de Germanie, marque le début d’un embryon de village autour de l’actuelle place de l’Église. Les habitants, quittant les hauteurs pour s’installer en bordure de la route, y construisent leurs premières huttes. Quelques dizainnes de cultivateurs vivent alors à l’emplacement de la future ferme du Rouvray.

Moyen Age

Durant l’époque médiévale, les habitants de Pantin pratiquent des cultes païens avant l’arrivée du christianisme, introduit par saint Germain, l’évêque d’Auxerre, au Ve siècle. Ce dernier crée les premières paroisses chrétiennes de la région, et les églises locales sont placées sous sa protection, marquant ainsi un tournant dans la vie religieuse et sociale du village. Le premier édifice religieux de la ville qui n’éxiste pas encore est une chapelle rudimentaire en pierre tirées de la colline voisine.

Plans de la ferme du Rouvray

En 1067, l’archidiacre de Notre-Dame, Joscelin, accorde au prieuré de St Martin des Champs, alors la force militaire la plus importante de la région, un bail sur Pantin. La vaste ferme du Rouvray est établie afin d’abattre un forêt de chènes à proximité de l’actuel hotel de ville, pour fournir le prieur Ursus en bois. Trente serf habitent sur place et les villageois doivent aussi y participer au titre de l’impot temporel de “la corvée”.

Pantin vu des hauteurs de Romainville, A. J. Testard, 1848 Pantin vu des hauteurs de Romainville, A. J. Testard, 1848

Les habitants de “Penthin-lez-Paris” sont des laboureurs vivant dans la crainte permanente des pillards de la plaine St-Denis. Pour faire son pain, le paysan Pantinois doit avoir recours au moulin, puis au four du prieur, en lui payant le prix du service rendu. En 1197 la charte du prieur Robert change les obligations du peuple : ils ne sont plus serf mais hommes libres, et les terres sont soumises au régime du “cens” plutôt que celui du “champartage” où une partie de la récolte appartenait au prieuré.

Pantin au moyen-age Pantin au moyen-age

En 1499, le prieur ne parviens plus à s’enririchir avec la ferme du Rouvray et la met en location. Le premier seigneur à bail de Pantin deviendra Jacques Foucauld, contrôleur du grenier à sel de Melun. Puis en le 21 mars 1563 le “sage Phillebert Barjot”, reçoit du prieur Dom Anthoine Vialar la propriété et les droits de justice de “la terre et la seigneurerie de Penthin et du Pré-Saint-Gervais”.

« L’hostel seigneurial du Rouvray, granges, estables, bergeries, terres labourables et vignes d’icelluy hostel et seigneurie de Pantin estre de présent en grande ruyne et que, par cy-devant, ils ont esté et sont encore de nul prouffit audit prieur.» Prieur Dom Anthoine Vialar, 1499

Autant préciser tout de suite que ces seigneurs laïcs n’auront guère d’autorité à Pantin où leurs droits seront constamment contestés par les villageois qui n’entendaient pas passer d’une tutelle à une autre. Ils seront huit à se succéder ainsi, de 1563 jusqu’à la veille de la Révolution française, à la tête de la seigneurie de Pantin. Les Barjot, les Forceval et les Le Bret, des seigneurs âpres au gain qui eurent, à maintes reprises, maille à partir avec les cultivateurs du lieu. C’est ainsi que le dimanche 15 juillet 1744, faute de pouvoir récupérer l’argent qu’il estimait lui être dû, Cardin-François-Xavier Le Bret, «chevalier, seigneur de Pantin et autres lieux» fit savoir par huissier à tous ses vassaux qu’ils se devaient « de porter les foys et hommages » faute de quoi, il menaçait les récalcitrants de faire procéder «par saisie et réunion au domaine de la susdite seigneurie de tous les fiefs et héritages». 1

Seigneurerie de Pantin Seigneurerie de Pantin

Un autre seigneur, Paul-Charles-Cardi Le Bret, exigeait que le “cens” lui soit payé “en son château et seigneurerie de Pantin”. Ce bâtiment, figuré par Roussel sur son plan de 1731, est une maison de campagne batie au pied de la colline de Romainville, peu luxueuse et assez banale, parfois abusivement qualifiée de “château des comtes de Pantin”, détruit en 1932. Supposé construit vers 1650, le château dit “de la seigneurie”, possédait un parc. Il fut la résidence du dernier seigneur de Pantin en 1786, Jean-François Geffrard de la Motte, comte de Sanois.

Seigneurerie de Pantin Seigneurerie de Pantin

Le pouvoir au XIVe supprime le maire et le remplace par le prevost (justice), le procureur fiscal (impots) et le collecteur de taille (impots locaux). Les cultivateurs désignent alors leur porte parole élu chaque année par une assemblée générale réunie sur la place publique : le syndic. Le clocher de l’église appartient à la communauté et sert fréquemment à appeler les habitants à l’assemblée générale où l’on débat de toutes les questions concernant la paroisse.

Seigneurerie de Pantin Seigneurerie de Pantin

Depuis 1649, l’édifice religieux est dans un tel état de vetusté, que le procureur décrète que “les habitants ne peuvent plus assiter au service divin”. La querelle de l’église dura jusqu’en 1826, après que le clocher reconstruit une première fois fut abatu en 1736, lorsque le batiment prit sa forme actuelle. On trouve à l’emplacement de l’actuelle rue Auger une léproserie apellée “la Maladerie” qui accueille les malades chassés de Paris, les mendiants, les tire-laine. Le bon air attire les bourgeois de Paris qui se laissent séduirent par les charmes du pays, qui y vont en villégiature construire leurs “ostel” et y font élever leurs enfants. On dénombre une trentaine de “familles nouricières” sur les 130 foyers de Pantin.

Pantin en 1814 Pantin, dans la Vue perspective de l’attaque de Paris en 1814, Chevalier Bernardini

1789 - La révolution

La maison de Pantin

“Ma mère à trouvé à Pantin cette bicoque qu’on lui a vendu trois fois sa valeur; mais n’importe, elle en est enchantée.”

Ourry et Merle, La maison de Pantin, 1818

Les guinguettes et les auberges fleurissent et y vendent un vin qui a mauvaise réputation : “un verjus médiocre qui éprouvait les gosiers les plus endurcis”. Une foule joyeuse d’écoliers parisiens fréquentait aussi ces lieux et il arrivait qu’on leur accordât l’autorisation d’«exploiter» quelques cerisiers ou groseilliers en échange d’une somme «assez modique». Le village devient un lieu de séjour privilégié pour certains artistes et leurs amis, La Camargo, Mehul le compositeur, et la plus illustre, Marie-Magdeleine Guimard, qui y ouvre un somptueux hotel où de nombreux artistes seront en représentations, non loin de celui de sa rivale, Anne-Victoire Dervieux. La Guimard reçoit des nobles, des généraux et des célébrités dans ce village qui “sentait la roture”. Beaumarchais avait aussi son hotel dans la même rue, pour lui permetre, comme La Guimard, d’y mener discrètement une vie de courtisan.

« La beauté du site, la variété des productions et, surtout, le grand nombre de guinguettes que l’on y rencontre, attirent, en cet endroit, les dimanches et fêtes, une foule de bourgeois et d’ouvriers d’autant plus disposés à renouveler leur pèlerinage qu’ils n’ont pas besoin de voiture pour s’y rendre et qu’ils trouvent du vin à bon compte. », Bernardin de Saint-Pierre, l’Almanach des plaisirs de Paris, 1815

Souper clandestin dans les carrières Souper clandestin dans les carrières

A l’aube de la révolution, le village compte plus d’un millier d’habitants. Elle mélange les ouvriers, laboureurs, vignerons, jardiniers, carristes, maçons; et les résidents cossus, nobles, artistes, courtisans. Le 15 avril 1789, les membres du tiers-état se réunissent dans l’église de Pantin afin d’écrire leur cahier de doléances, demandant entre autres la fin du monopole du boucher de Pantin, et que ceux de Paris ne fassent plus paitre leur bètes dans le village. En 1790, le Pré-Saint-Gervais devient enfin autonome, après l’avoir de nombreuses fois demandé, “pour rompre pour toujours la discorde qui règne depuis un temps immémorial entre les habitants de Pantin et ceux du Pré-Saint-Gervais, et entretenir avec eux une paix solide et durable”.

1789-1870 - Les débuts de l’industrialisation

En 1801, le premier recensement officiel compte 901 pantinois. Le 7 février 1836 les élus pantinois prennent la décision de créer un poste d’institutrice communale, dont le nom a été conservé dans les registres : Mme Teste. Une des grandes richesse du pays à l’époque étaient les carrières, et pour les pantinois il s’agissait de celles qu’on exploitait depuis des siècles au flanc de la butte de Romainville (entre autres sous “la forêt de la corniche aux forts” dite “la jungle”). En 1801, un cinquième des citoyens du village sont carriers ou platriers. L’exploitation de ces carrières cessera avec la multiplication des accidents et elles seront comblées en 1899 à la suite d’un grave éboulement.

Carrière des Lilas Carrière des Lilas

Depuis 1805 le canal de l’Ourq, une voie navigable artificielle, se trace entre Paris et la Seine et Marne en 1813, puis l’Aisne en 1822, puis enfin Rotterdam. Pantin devient alors un port fluivial. En 1866 s’ouvrent les abattoirs centraux de la Villette, construits par Baltard à l’emplacement de l’actuelle cité des Sciences et des Industries de La Villette.

Abattoirs de la Villette Les Abattoirs de la Villette

Halles Baltard Les Halles Baltard

En 1849 s’ouvre la ligne de chemin de fer reliant Paris à Strasbourg, passant elle aussi par Pantin, mais sans s’y arréter. La gare du village ne s’ouvrira qu’en 1864, après de nombreuses demandes de la mairie. La compagnie des Chemins de Fers construit d’abord un quai aux bestiau dans la modeste halte pour voyageur que constitue la gare de Pantin, puis un quai pour l’infanterie. Puis une autre gare de triage et d’entrepots est construite. Pantin perd encore une importante partie de son térritoire avec la construction du fort d’Aubervilliers, dont le tracé est sur la ville voisinne de celle dont il a le nom, de même que pour le fort de Romainville, perturbant les autres frontières de la ville.

La gare de Pantin en 1905 La gare de Pantin en 1905

La ville compte 3909 habitants en 1856 mais l’agrandissement de Paris aux communes voisines en 1860 fait perdre 49 batiments et 456 habitants à Pantin.

Dans les années 1860 - 1870, le quartier des Quatre Chemins, à la façon du Pré-Saint-Gervais, tente de faire sécession avec Pantin. Diféranciant les population, industrielle et commerciale aux Quatre-Chemins, cultivatrice au “Vieux-Pantin”. Ils sont trop loin de l’église, “déshérité d’écoles communales […] privés d’éducation […] et vagabondent sur la voie publique. Les partisans de la sécession se plaignent des “immondices et les boues de Paris [qui] répendent dans l’air leur miasmes putrides et délétères” mais aussi de la voirie, avec ses “rues défoncées, mal alignées, sans égouts, sans trottoirs, sans éclairage et sans bornes-fontaines”. Le projet, mené par un promoteur industriel M. Leroy, possédant depuis 1860 les terres de la ferme du Rouvray, voulant construire une cité ouvrière, n’aboutira pas totalement. Le quartier reste à Pantin, et la cité Leroy est construite. 1

Pantin en 1907

Dés 1867 la Compagnie Générale des Omnibus (La C.G.O) hésite à venir s’implanter, et ne le fait qu’avec une subvention de la mairie. La vieille route du moyen age devient alors l’axe principal des transports publics tirés par chevaux, entre l’église de Pantin et l’ancien prieuré de St Martin.

Pantin en 1907

«Chef-lieu de canton de 18 000 habitants, presque tous ouvriers ou manœuvres, agglomération de bâtiments de fermes décrépits, d’usines puantes, de villas surannées, jadis bâties en pleine campagne, maintenant serrées entre des murs et des maisons de rapport hideuses. Une atmosphère lourde, chargée des exhalaisons chaudes des abattoirs, des marchés aux bêtes, des charniers d’équarissage, l’enveloppe; un ciel bas, plombé, pèse sur lui, l’assombrit, même au vif de l’été, sous le soleil de juillet… Dans la grande rue de Paris, reliés par un tramway, on retrouve le faubourg du Temple et le faubourg Saint-Martin, avec leurs cheminées colossales, leurs vastes ateliers, leur fourmilière humaine. Les fabriques de vernis, de noir animal, de caoutchouc, de bonbons, de wagons, de cristaux, de bâches, de parfumerie, se détachent, emploient tout un monde d’hommes et de femmes, misérables, dont le labeur crée la richesse. » Marcel Cornu

Sortie de l'usine Cartier-Bresson à Pantin Sortie de l’usine Cartier-Bresson à Pantin

En 1859 La filature de Cartier-Bresson se déplace de la rue St Denis de Paris à Pantin, on y fabrique des cotons pour la couture, des lacets et des articles de mercerie. Elle comprend une blanchisserie, une teinturerie et une fabrique de bobines en bois, employant jusqu’à 450 personnes, auxquelles la direction offre un “curé d’usine”.

Assemblage d'une Locomotive, Paul Meyerheim, 1873" Assemblage d’une Locomotive, Paul Meyerheim, 1873

L’usine Destouches, fabricant de materiel pour les Compagnies de Chemin de Fer et l’armée s’installe en 1855 sur 40.000m² entre le pont du canal de l’Ourcq et la Gare (650 ouvriers). On trouve aussi chaudronneries, fonderies, et métalurgies;, avec une spécialisation dans la fabrication de chaudières à vapeur, de pompes et de reservoir. Il y a aussi une fabrique d’épingles à cheveux et de cartes postales. Après 1870 c’est Wehyer et Richmond qui installe son activité de grosse chaudronnerie pour employer plus de 700 personnes.

Locomotive Decauville, fabriquées à Pantin Locomotive Decauville, fabriquées à Pantin

1870-1900 - La ville usine

L’usine Delizy-Doisteau à Pantin, le hangar à tonneaux, le quai.

La plus ancienne usine de Pantin est une fabrique de liqueurs et de sirops installée depuis 1780, produisant de l’absinthe et des fruits à l’eau-de-vie. En 1802 ouvre la chocolaterie Valentin. En 1840 s’installe la verrerie Vidié qui fabrique des articles pour distillateurs, limonadiers, laitiers. Elle sera absorbée en 1897 par l’entreprise de l’ancien ouvrier, Auguste Legras (1817-1897), regroupant les verreries et crystalleries des Quatre-Chemins et de Saint-Denis. Ainsi naquit la Cristallerie de Pantin, qui disparaitra en 1925. La distillerie Delizy-Doisteau s’installe en 1851 aux bords des vergers plantés dans le sud de la ville.

La cristallerie de Pantin à l'exposition de Liège La cristallerie de Pantin à l’exposition de Liège

En 1876, c’est la deuxième manufacture nationale des tabacs et allumettes qui s’y installe, la première datant d’avant 1855 sur les bords de l’ancienne ferme du Rouvray. Celle d’Aubervilliers, tenue par la “dame Lequi, dite Delabarre” fusionne avec l’instauration du monopole d’état en 1872. Cette manufacture devient la plus importante de France avec 12 milliards d’alumettes par an, soit 45% de la production totale, employant 730 personnes en 1898. La fabrication cessera en 1931, et les batiments appartiennent à la ville depuis 1955.

Manufacture nationale des tabacs

On fabrique à Pantin diverses spécialités dont la ville a le monopole : les cigares “favoritos” et les “millaros”, ainsi que les cigarettes sans papier “damitas” et “senoritas”.

Taille des cristaux à la Verrerie de Pantin

De 1860 à 1872, 5 parfumeries et fabriques de savon de toilettes s’installent dans le village, dont les établissement “Bourjois”, produisant des pommades, des huiles parfumées, des cosmétiques et des eaux de toilettes. L’industrie chimique naissante amène aussi des fabriques de vernis, bitumes, colorants, huiles et graisses industrielles. La proximité des abatoirs de la Villette donne naissance à des activités où l’on traite les sous-produits animaux, comme les graisses, les os et les peaux.

Pantin voit se monter une série de margarineries, de fondoirs à graisses, de bouchers et d’ateliers travaillant les cuirs le long du canal de l’Ourcq. On trouve aussi une fabrique de papiers à lettre, une entreprise de batiments spécialisé dans le sondage des sols, une usine de caoutchouc. En 1886 Paris décide l’ouverture d’un cimetière à Pantin pour accueillir sa population décédée, bien que le conseil municipal du village, qui compte alors 19 170 habitants, s’y oppose.

Canal de l'Ourcq Canal de l’Ourcq, avec la blanchisserie et les moulins en arrière plan

C’est en 1880 que s’installent les Grands Moulins à farine, en bordure des fortifications de Paris, entre la voie férée et le canal, construits par Abel Stanislas Leblanc. C’est un batiment de 8 étages avec 24 meules, traitant en 1915, 600 quintaux de céréales par jour. Dans la même décénie s’installe aussi à Pantin, Felix Potin, un épicier qui révolutiona les pratiques commerciales en affichant des prix fixes, en réduisant les intermédiaires, en proposant la livraison à domicile, et en créant la “marque distributeur” : des produits qu’il fabrique et vend lui même. Il ouvre une usine à Pantin vers 1880, comprenant un entrepot, des chais, des cuves à liqueur, un laboratoire et une parfumerie. Alfred Chauchard, un des premiers à faire de la vente par catalogue, a lui aussi un immense magasin dans Paris, : les grands Magasins du Louvre. Ils deviennent si grands qu’il installe à Pantin son entrepot, relié au réseau férré, perméttant d’envoyer rapidement les commandes par correspondance atravers toute la france.

Entrepots Felix Potin Entrepots Felix Potin

A la fin du siècle Pantin compte près de 29 000 personne. Un afflux d’ouvriers a remplacé les cultivateurs du passé. Partout, on a transformé en logement des vielles mansardes, ouvert des “boites à loyer” et innondé la plaine de maisons en moëllons recouverts de ciments et de toits de zinc. Depuis cent ans, les ouvriers à blouse et à casquette, la “canaille” comme on disait dédaigneusement, sont refoulés vers les faubourgs. L’exode repousse ces indésirables vers l’est et le nord-est de Paris puis, lorsque s’élargissent les limites de la capitale, la “canaille” reflue jusqu’à Montreuil, Pantin, Bagnolet et les Prés-Saint-Gervais.

« Ils constituent le pays ouvrier et populaire. Et naît alors ce qu’on dénomme la banlieue. Une périphérie qu’uniformise la coloration ouvrière et qui tend à remplacer la diversité des villages et des bourgs du contour de Paris. » Marcel Cornu

Le militantisme est forts chez ces ouvrier, et la Fédération des Ouvriers Révolutionnaires décide le 6 avril 1893 d’ouvrir “une maison du peuple”, avec pour objectif de “combattre le machinisme qui retire le travail à l’ouvrier”, de “supprimer l’intermédiaire en laissant les bénéfices au producteur” et “d’aider des frères de misère à s’organiser sur le terrain économique et préparer la grève générale dans une circonscription ou pullulent les bagnes capitalistes”2. Elle s’occupera entre autres de procurer à ses adhérents des galoches à prix coutant.

Pour élever l’innocent,

Elle dut se mettre en carte

Et travailler le passant,

A Montmartre.

Et voilà !… Mince d’chopin !…

Faut vraiment être guenuche

Pour venir chercher son pain,

A Pantruche.

A Pantruche, Aristide Bruant, 1900

1900 -1939 - Les temps modernes

La Zone, les limites : les limbes

Le cinéma Pantin Palace avec les Grands Moulins en arrière plan Le cinéma Pantin Palace avec les Grands Moulins en arrière plan

Au début du XXe siècle, Pantin connaît un véritable âge d’or industriel. Les usines se multiplient, attirant une main-d’œuvre nombreuse. Parmi les industries emblématiques, on compte les Grands Moulins de Pantin, spécialisés dans la minoterie, et les usines de construction mécanique. Ce développement s’inscrit dans un contexte plus large de croissance industrielle en Seine-Saint-Denis.

En 1901, Pantin compte 38 000 habitants et manque cruellement d’équipements collectifs et sanitaires.

La Zone à la porte de Flandres La Zone à la porte de Flandres

La Zone à la porte d'Allemagne Porte d’Allemagne

La “Zone” désigne une bande de territoire entourant Paris, soumis à des lois militaires depuis 1841, empèchant les construction perennes, qui habrite pourtant 50 000 personnes. En 1914, au début de la guerre, cet espace, alors habité par des baraques, des cabanes et des habitations légères, sera rasé par le le génie militaire, dont une partie touchant Pantin.

La barrière de l'octroi à Pantin, 1906 La barrière de l’octroi à Pantin, 1906

En 1918, lors de la première coupe de france de football, c’est l’Olympique de Pantin qui gagne contre le FC Lyon par 3 à 0.

La transformation industrielle de Pantin se poursuit dans les années 20, avec l’élargissement du canal et la construction de grands batiments de stockage, comme ceux des Magasins Généraux, gérés par la CCI de Paris.

Dependances de Pantin des Magasins du Louvre; 1905 Dependances de Pantin des Magasins du Louvre; 1905

Les Grands Moulins reçoivent en 1923 des extentions dessinées par Eugène Haug et Zublin, dont des nouveaux batiments avec une centrale electrique, des batiments de meunerie, des magasins de farine et une école de boulangerie.

Projet du Moulin Neuf par Haug, 1923 Projet du Moulin Neuf par Haug, 1923

Un pont-levis, appelé pont des Limites, se trouvait aux limites de Pantin, Bobigny et Romainville, au PK 4,590. Ce pont était à Bobigny au début du XXe siècle. De 1927 à 1932 ont eu lieu les travaux de mise à grand gabarit du canal de l’Ourcq. À la création du nouveau port de Pantin décidé en 1928 et mis en eau en mai 1929, ce pont a été déplacé de 30 mètres vers Pantin. À Pantin, ce pont n’a pas de nom, les canaux de Paris l’appellent pont Hyppolyte Boyer. La Maison du Garde du Pont des Limites a été détruite il y a presque 100 ans, mais le lieu semble toujours habité.

La Maison du Garde du Pont des Limites La Maison du Garde du Pont des Limites

En 1920, M. Toulis construit son atelier rue Rouget de Lisle, devenant bientôt un garage, puis 100 ans plus tard, “La Maison Rouge”.

L’atelier de Mr. Toulis

L’hygienisme resplendit avec la construction de l’école maternelle en plein air de l’architecte Naquette, à l’emplacement de l’ancienne “Seigneurerie de Pantin”. Elle a un système de chassis escamotable pour que les enfants soient en permanence en contact avec l’air exterieur. On y soigne chaque année trente enfants tuberculeux.

L’école maternelle en plein air de Naquette, 1932. On voit la tour Gamma 57 derrière.

Des aventures industrielles

Un atelier de la polymécanique Un atelier de la polymécanique

Dans les années 20, une nouvelle industrie vient s’installer en ville, c’est la motocyclette française, avec entre autres, l’installation des ateliers Motobécane. La modeste usine ne sert au début qu’au montage des moteurs, reservoirs et magnetos. Leur prototypes font date au salon de 1930 avec deux inventions qui ont perduré : le moteur à 4 temps, et la circulation d’huile intégrale. L’usine, située à l’emplacement de l’actuel Tang Frères, dite “La Polymécanique” sort 20 000 motos en 1928. En 1936, leur atelier de cycle rue Méhul produit 3000 vélos, et l’usine de la motobécane fabrique un avion léger, “le Taupin” qui s’engage dans le tour de france aérien. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, c’est la fameuse mobylette qui devient son produit le plus connu, mais la société déménage à St Quentin en 1952.

Motobécane AV 88 Motobécane AV 88, plus communément nommée La Bleue

Pour les blanchisseries Elis, tout commence en 1883, rue de Flandre à Paris. Cette entreprise de blanchisserie traite le linge pour des hôtels, des bouchers, des coiffeurs, des restaurants, ainsi que pour les particuliers.

Afin de développer son marché, Théophile Leducq acquiert de nouvelles machines et choisit d’utiliser la vapeur pour le repassage et le lavage. Le terrain de la rue de Flandre devenant vite trop étroit, l’industriel décide de faire construire une usine en bordure du canal de l’Ourcq, à Pantin. Deux facteurs président à ce choix. D’une part, la nappe phréatique peu profonde permet un approvisionnement aisé en eau chaude et douce. Par ailleurs, plusieurs entreprises telles que des savonniers, des fabricants de lessive et de produits de nettoyage, en particulier d’eau de Javel, déjà installées, facilitent l’approvisionnement en matières premières.

Blanchisserie Leducq sur le canal de l'Ourcq Blanchisserie Leducq sur le canal de l’Ourcq

Le bâtiment, relié au chemin de fer, s’implante à Pantin sur un terrain long et étroit en bordure du canal qui longe la rue du Général-Compans. En 1900, 15 tonnes de linge sont traitées dans la buanderie Leducq, et 350 personnes y travaillent. En 1936, l’entreprise tente de promouvoir le lavage en poids, mais la guerre ralentit son activité et ce n’est qu’après la Libération que ce système rencontrera un véritable succès. Cependant, l’essor de la machine à laver et son entrée massive dans les foyers met l’entreprise en difficulté, jusqu’à ce que l’armée américaine passe commande de 50 tonnes de linge à nettoyer par semaine, permettant ainsi à l’entreprise de retrouver tout son dynamisme.

Etiquette de la Blanchisserie Leducq Etiquette de la Blanchisserie Leducq

1939 - 1945 - L’occupation Nazie

Pantin est une ville industrielle, aux porte de Paris, avec une position stratégique influente vers l’est, donc il y a eu une occupation importante lors de la deuxième guerre mondiale. Les troupes allemandes réquisitionnent l’école de la rue des Grilles, et y restent toute la durée de l’occupation. Le 12 octobre 1942 le premier métro arrive à Pantin.

Les usines tournent au ralenti à partir de 1939, sauf celle dont la production interesse les Allemands. Il y a de nombreux sabotages dans les usines, car la ville est fortement ouvrière et communiste. Des Pantinois, dont Marcelle Street, organisèrent la resistance contre le joug militaire des Nazis. Resistant de la première heure, Jean Lolive est arrêté en 1941 et séjourne dans de nombreuses prisons françaises. Il est déporté en 1944 à Mauthausen, et libéré en 45, sa santé durement éprouvée.

C’est sous l’occupation nazie, en 1944, que Pierre Bolotte est entré dans le corps préfectoral. Il est reconduit à son poste après la Libération. Le parcours du préfet Pierre Bolotte retrace à lui seul la généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire contemporain. Il deviendra plus tard prefet de Seine-Saint-Denis, le département de Pantin.

Des bombardements en 1944 détruisent une partie importante des batiment des Grands Moulins de Pantin qui seront reconstruits par l’architecte Jean Bailly. Le dernier train de deportés est parti pour l’allemagne le 15 août 1944 en passant par Pantin.

1945 - 1970 - Le tournant des Grands Ensembles

Des quartiers ouvriers se développent pour loger les travailleurs, et de nouvelles infrastructures voient le jour. L’architecture industrielle marque durablement le paysage urbain, avec des bâtiments emblématiques qui subsistent encore aujourd’hui. En 1958, le général De Gaule revient au pouvoir, après la guerre, et en 1959, c’est le cimentier communiste Jean Lolive qui est élu à la mairie de Pantin. Il reste maire jusqu’en 1968, mourrant 3 ans après sa réelection.

La ville nouvelle

Plans de la tour étoile

Plans de la tour étoile Plans de la tour étoile

C’est en 1959, alors que la ville héberge 44 000 habitants qu’est décidé la construction de la Cité des Courtillères, qui sera faite en 14 mois grace au procédé de préfabrication rapide de Raymond Camus. Elle se compose du “Serpentin”, “un batiment sinueux de 1,5 km, coupé en 3 tronçons inégaux, qui entoure un parc” et d’une “quizainne de tours en forme d’étoiles”, le tout proposant 1500 logements sur 4 hectares, d’après l’architecte Emile Aillaud. 3

Le Serpentin Le Serpentin avec les tours étoile derrière

Des équipements ont été construits en même temps : groupe scolaire Jean-Jaurès (1959-1960) , école primaire Marcel-Cachin, école maternelle Jacqueline-Quatremaire (ouvertes en 1961) , gymnase Hasenfratz, gymnase Rey Golliet, centre de protection maternelle et infantile (1959-1960) , garderie d’enfants. Une des originalités du programme consiste dans la création d’un vaste espace paysager au centre de la composition formée par le serpentin et dans le rejet de la circulation automobile à l’extérieur. En 1998 est construite une [maison de quartier(#2020—le-reveil-de-la-belle-endormie)] de l’architecte Suzel Brout.

La Cité des Courtillères

A la fin des années 60, sur les 502 hectares de la commune de Pantin, 130 hectares sont occupés par les 48 000 habitants, 84 par les voies de chemin de fer.

Dessins et plan-masse de Pantin publiés en 1952 dans la revue Techniques & Architecture

la place de l'église La place de l’Église

Loin de là, sur la place de l’église les constructions du XVIIIeme se lézardent, se fissurent, s’écroulent, et manquent de l’hygiène moderne. On y fait construire de nouveaux logements à partir des années 50 jusqu’en 1979. Au total, en 1982, il y a eu 5500 appartements neufs construits, abritant 22 000 habitants, plus de la moitié de Pantin. La ville est entrée dans le monde moderne.

Modèle Gamma 57 de Denis Honnegger dans le quartier de l’Église de Pantin

L’architecte Denis Honnegger (1907-1981) implante les bâtiments en suivant le réseau des rues existant et faisant la liaison avec le tissu urbain environnant. Les barres de quatre à neuf étages sont disposées en peigne par rapport aux voies de circulations et des espaces verts sont aménagées au milieu. A celles-ci s’ajoute une tour de quatorze étages à l’articulation des rues Méhule et de Candale. Sur la rue commerçante, les immeubles sont reliés par un bâtiment d’un étage à l’alignement de celle-ci accueillant des locaux commerciaux en rez-de-chaussée. Les édifices sont construits en béton armé avec une structure poteaux/poutres visible en façade, et un motif en croisillon. Les élévations sont constituées de panneaux préfabriqués en béton et gravillons qui dessinent des travées régulières de 3,24 m, à la manière des immeubles du Havre d’Auguste Perret, dont Honegger a été l’élève. Il met ici en oeuvre son modèle “Gamma 57”, procédé constructif utilisant la préfabrication dérivé des techniques de Perret et exposé au Salon des arts ménagers.

Gamma 57 Pantin vu depuis la butte de Romainville. On voit la tour Gamma 57 et la butte Montmartre.

Le chantier qui a débuté en 1953, s’étale jusqu’en 1978, de nouveaux ensembles s’ajoutant aux premières constructions. Les tours et les barres sont liées par des commerces, dont un garage, une station-essence, et l’entrée du métro. Le modèle Gamma 57 sera repris à Malakoff (cité Stalingrad) et à Paris (rue de Meaux, rue Armand Carrel, avenue Daumesnil).

ND des Buttes Chaumont Notre Dame des Buttes Chaumont, avec le modèle Gamma 57, rue Armand Carrel, par Denis Honnegger

Résidence Victor Hugo Intérieur de la résidence Victor Hugo par Fernand Pouillon

On compte aussi dans les constructions marquantes de cette époque, la résidence Victor Hugo par Fernand Pouillon, située sur l’ancien site des usines Delizy - Doisteau. Très marquée par l’héritage d’Auguste Perret, elle illustre parfaitement l’ambition de Fernand Pouillon de « loger la multitude ». Il s’inspire des immeubles parisiens des 17ème et 18ème arrondissements et des maisons des 4ème et 6ème arrondissements, c’est-à-dire d’une architecture banale, sobre, traditionnelle et confortable, où seules les proportions et la pierre règlent le climat des lieux.

Maquettes de la résidence Victor Hugo par Fernand Pouillon

La Seine-Saint-Denis

En 1964, à la fin de son premier mandat présidentiel, le général de Gaulle confiait au haut fonctionnaire Paul Delouvrier la mission de mettre en place les nouveaux départements de la région parisienne. En Île-de-France, seule la Seine-et-Marne resta inchangée.

Pour la Seine-Saint-Denis, la première réunion des 34 membres de l’assemblée, pour les 23 cantons issus de la Seine et les 11 de Seine-et-Oise, se tient il y a 50 ans, le lundi 9 octobre 1967, à Bobigny, la commune choisie pour le siège de la préfecture, non pas dans l’imposant édifice actuel de l’Hôtel du département, qui n’est pas encore sorti de terre et ne sera inauguré qu’en 1971, mais dans des baraques préfabriquées quelque part à proximité, entre le canal de l’Ourcq et la voie ferrée.

Hôtel de préfecture de la Seine-Saint-Denis Hôtel de préfecture de la Seine-Saint-Denis par Michel Folliasson

Dans ce département ouvrier, le Parti communiste français est massivement implanté en 1967. Chaque commune ou presque compte une section du parti, souvent plusieurs ; et à chaque scrutin d’importance nationale, les pourcentages de votes communistes atteignent presque le double des résultats nationaux.

C’est le cas surtout d’Henri Bouret, qui savait parfaitement lors de sa nomination en 1964 avec qui il aurait à composer et s’en est acquitté à merveille. Il est vrai qu’il avait été choisi ad hoc pour être « communo-compatible ». Âgé de 51 ans en 1967, ancien aviateur et donc adepte de progrès technologiques et industriels, ancien résistant et combattant de la France libre, il avait entrepris à la Libération une carrière politique. Ses qualités de résistant, notamment, lui valaient d’emblée l’estime des communistes. Georges Valbon s’était lui-même distingué lors des combats de la Libération à Bagnolet et Montreuil, et au moins sept autres élus communistes du premier conseil pouvaient aussi se prévaloir de ce titre.

Ouvriers en grève dans leur imprimerie Saint-Ouen, de mai 1968. Ouvriers en grève dans leur imprimerie, avenue du Capitaine Glarner. Bernard Piraire.

Quelques mois plus tard, les événements de Mai 68 et leur exceptionnelle floraison de grèves ouvrières marquent sévèrement ce département essentiellement industriel. Les principales échauffourées se déroulent certes à Paris, mais le préfet Bouret se montre bien embarrassé à la fin du mois quand il s’agit de transférer les fonds du siège régional de la Banque de France établi à Pantin, aux portes de Paris, vers Bobigny où les employés de la préfecture doivent recevoir leur enveloppe mensuelle. Faire traverser par un fourgon blindé une partie du département bloqué par les grévistes lui semble hautement risqué. Il s’ouvre de son problèmes à ses amis conseillers communistes : pas de problème, les fonds seront acheminés dans une discrète camionnette du conseil général encadrée d’une escorte syndicale ! 4

Histoire de la Seine-Saint-Denis

1970 - 2020 - La crise industrielle et la reconversion

Une banlieue en crise

À partir des années 1970, Pantin, comme le reste de la Seine-Saint-Denis, est confrontée à la crise industrielle. La fermeture de nombreuses usines entraîne un déclin économique et social. Face à cette situation, Pantin entreprend une reconversion urbaine. La réhabilitation des friches industrielles et le développement de nouveaux projets urbains redynamisent la commune.

En 1967, les héritiers de Théophile Leducq, créateur de la blanchisserie, rassemblent les activités de l’entreprise en France à travers le “Groupement d’Intérêt Économique Elis”, avant de changer de nom en raison de son expansion au-delà de nos frontières et de se nommer “Elis”, abréviation d’“Europe Linge Service”. En 1973, l’entreprise part à la conquête du marché européen avec le rachat de la société belge Hadès. Après la Belgique, suivent l’Espagne, le Portugal, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Suisse, le Luxembourg, l’Italie et la République Tchèque.

La Blanchisserie Elis, anciennement Leducq La Blanchisserie Elis, anciennement Leducq, avec les grands moulins. Viclar, 2008

Le groupe connaît une forte croissance en s’orientant vers le nettoyage des costumes et du linge du personnel d’Eurodisney et de ses hôtels. Pour ce service, deux nouvelles usines sont créées à Meaux et Saint-Thibaut. L’année suivante, Elis se met à l’heure des Jeux Olympiques après avoir été choisie comme styliste et fournisseur officiel des tenues des athlètes et des accompagnateurs de la délégation française du Comité National Olympique et Sportif Français. Elis travaille aujourd’hui avec des entreprises et des collectivités dans le cadre de la location de linge, de vêtements de travail et de produits d’hygiène et bien-être. L’entreprise emploie plus de 13 000 salariés en Europe répartis sur ses 140 sites.

Entrepots des magasins généraux

En 1974, les Grands Magasins du Louvre disparaissent, mais l’entrepot de Pantin était fermé depuis longtemps, de même que celui des Magasins Généraux, devenu un lieu de rencontre du Strret Art. Au tournant des années 1970, moment de transition pour les organismes gestionnaires des Courtillières, alors qu’était venu le temps d’entreprendre les premières réhabilitations, la condamnation des grands ensembles devint unanime. L’État lui-même rompit avec la politique productiviste de logement social qui avait pourtant permis de résorber la crise. La croissance du chômage, renforcée localement par la désindustrialisation et l’apparition de la consommation de drogues dures, accentuèrent ce phénomène. La délinquance, soutenue par les trafiquants et l’importance du sous-emploi, s’installa durablement. La gestion ainsi que l’entretien du bâti et des logements furent délaissés par le bailleur, suscitant une multiplication des plaintes d’habitants auprès du Service d’hygiène et de sécurité.

Histoire des Courtillières

Le chevalier de la légion d’honneur Pierre Bolotte

Fin juin 1967, Pierre Bolotte est envoyé à Paris et devient en 1969 le préfet d’un département récent, la Seine-Saint-Denis. Le ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin le charge de concevoir une nouvelle architecture de police. Ce nouveau prefet, Pierre Bolotte, né en 1921, a davantage un profil de « spadassin » dit de lui Jean-Pierre Périllaud. Ses relations sont plus distantes avec les élus communistes, et il a notamment à superviser le chantier de la préfecture, qu’il inaugure en 1971.

« Dans la tradition la plus territoriale et bien de chez nous, chaque fois le maire et son conseil [nous] recevaient à déjeuner […], repas fort bons et bien arrosés. Après le repas, j’allais avec le maire voir les lieux où devaient s’installer constructions et équipements, mais jamais en ville pour ne pas donner […] l’impression que le maire et moi faisions campagne commune. » Témoignage du préfet Pierre Bolotte, Bellanger, 2005.

Bolotte fait partie des cadres civils qui participent à la réflexion et à l’expérimentation de formes militaro-policières de répression et de gouvernement qui donnent naissance à la doctrine de la « guerre contre-révolutionnaire » 5.

Dans une lettre confidentielle qu’il envoie au premier ministre le 28 février 1956, il propose pour l’Algérie « un pouvoir fort – peut-être même dictatorial – [qui] comporterait […] le retour à l’ordre et le véritable progrès économique et social 6. ». À Alger, Bolotte crée et répartit des patrouilles de huit à dix hommes dans les « quatre quartiers sensibles ». Il étend ensuite leur « mission de surveillance » puis développe « de nouvelles méthodes » en composant ces patrouilles de militaires ou de CRS « livrées à elles-mêmes ». Il expérimente ainsi des prototypes de commandos de police autonomisés. Cette expérience est fondatrice de son savoir-faire en matière de répression.

Bolotte maintient l’idée que « toute guerre anti-terroriste est une “sale guerre” » et qu’« il faut en passer par là si l’on veut ramener l’ordre et la paix ». En juin 1965, il obtient le titre de préfet et est nommé en Guadeloupe. En 1966, l’île est dévastée par un cyclone. Le 20 mars 1967, à Basse-Terre, un riche marchand blanc lance son chien contre un cordonnier noir handicapé. Une révolte éclate et le magasin est mis à sac. « Redoutant le pire de la part des autonomistes », l’armée est autorisée à tirer pour maintenir une forme de couvre-feu. Des témoins décrivent plusieurs personnes abattues dans la rue, des tabassages et des corps à la sous-préfecture, des tortures lors d’interrogatoires et des disparitions forcées. L’aspect technique et systématisé de ces violences militaro-policières est caractéristique de l’appareillage “anti-subversif”. Il est nommé prefet de Seine-Saint-Denis en 1969.

Mathieu Rigouste

« Pierre Bolotte avait l’habitude de dire qu’il était plus facile de vivre dans un département d’opposition que dans un département de majorité. Les pressions politiques ne s’y exercent pas de la même manière : elles sont franches, et non insidieuses. ». Yves Cousquer

PERSONNES MORTES AUX MAINS DES FORCES DE L’ORDRE

Sous l’autorité de Bolotte, l’officier Claude Durant conçoit une police “anticriminalité” pour chasser les nouvelles figures de l’ennemi intérieur dans les quartiers populaires. La première Brigade anti-criminalité (BAC) est fondée le 1er octobre 1971 à Saint-Denis, en adaptant pour la ségrégation néolibérale les techniques de police élaborées par Bolotte à Alger. Les unités de la BAC sont généralisées en Seine-Saint-Denis en avril 1973. Le préfet Bolotte s’implique pour qu’on développe ces « îlotages » dans tous les quartiers où « tous ces actes criminels de plus en plus nombreux, insensibles et agressifs, sont allés se développant. Tout cela représente le retour d’une barbarie primitive, et c’est un pas en arrière de nos civilisations », résume-t-il au tournant des années 2000.

La carrière du préfet Bolotte montre comment l’ordre sécuritaire émerge au croisement de la restructuration néolibérale et de la contre-révolution coloniale. On y voit l’industrie de la guerre policière se développer face à la recomposition constante de résistances populaires.

Histoire de Pierre Bolotte

Bernard Kern, l’actuel maire de Pantin

En 1989, Bernard Kern, l’actuel maire de Pantin, est élu au conseil municipal de la ville. Il devient ensuite député en 1998. En mars 2001 il est élu face au maire communiste sortant, Jacques Isabet. Depuis il a été réélu trois fois et est toujours en poste.

la Manufacture du Tabac La Manufacture du Tabac

La Manufacture du Tabac La destruction de la Manufacture du Tabac en 1992. On voit le Gamma 57 en arrière plan.

En 1992 les batiments de la Manufacture du Tabac sont détruits sous implosion controlée, et remplacée par la Direction Générale des Impots, trois batiments de verre et d’aluminium construits par Paul Chemetov. Des films comme “Delicatessen” ou “Nikita” y avaient planté leur décor et des artistes y louaient leurs ateliers. Un seul bâtiment de brique rouge sera préservé. En 1994, le groupe céréalier Soufflet reprend les Grands Moulins de Pantin, devenant le n°1 de la meunerie en france.

Reconstruction des Gands Moulins dans les années 2000 pour en faires des bureaux pour la banque BNP

En février 2001, prenant fortement position contre la démolition du serpentin des Courtillères, l’équipe de l’architecte Paul Chemetov proposa aux habitants une réhabilitation en forme de réaménagement des appartements du Serpentin. Associé pour l’occasion avec Ikéa, l’architecte transforma un F5 de 76 m2 en F4 de la même superficie, y ajoutant même un balcon, et un F3 de 54 m2 en F2. Médiatisée, cette démarche fut soutenue par le maire dans un contexte électoral tendu. Le candidat communiste sortant Jacques Isabet affrontait en effet le jeune conseiller général socialiste Bertrand Kern, député suppléant de Claude Bartolone alors ministre de la Ville, élu du Pré-Saint-Gervais voisin.

Le Technicentre Est Européen

La Gare de Pantin La Gare de Pantin

Depuis plus d’un siècle et demi, la commune de Pantin est liée au transport ferroviaire, auquel elle doit en grande partie son développement économique. La présence des trains à Pantin est indissociable du développement de la gare de l’Est et de la ligne Paris-Strasbourg, de même que la fabrication des trains est indissociables des industries de Pantin. 7

Gare de tirage de Noisy, 1986 Gare de tirage de Noisy, 1986

Gare de tirage de Noisy, 1994 Gare de tirage de Noisy, 1994

En 1911, la gare de l’Est n’étant plus en mesure de répondre à l’augmentation du trafic de voyageurs, la Compagnie des chemins de fer français décide de construire des ateliers en dehors de Paris pour entretenir son matériel. Le site de l’Ourcq, situé à 5 km de la capitale, à cheval sur les communes de Pantin et de Bobigny, répond aux critères exigés. Ce chantier, appelé aussi “garage”, sert à préparer les trains avant leur départ de la gare de l’Est. En 1960, les locomotives à vapeur disparaissent, tout le réseau Paris-Strasbourg étant électrifié.

Technicentre Est Européen

En juin 2004, pour s’adapter à la venue prochaine des trains à grande vitesse, la SNCF a entrepris de transformer les ateliers de l’Ourcq afin de créer le “Technicentre Est Européen”. Dès mars 2006, après vingt et un mois de travaux, le site est prêt à accueillir les nouvelles rames du TGV Est Européen. De juin à décembre 2006, ce dernier est mis en service sur les lignes ordinaires Paris-Metz-Luxembourg et Paris-Nancy-Strasbourg. C’est en mars 2007 que la nouvelle ligne à grande vitesse est inaugurée. Depuis, cent TGV circulent entre Paris et l’Est de la France à la vitesse de 320 km/h.

 Le record du monde du TGV - 3 avril 2007 Le record du monde du TGV - 3 avril 2007, © Lucille Cottin

Cette même année, l’atelier de Pantin-Bobigny assure l’entretien de la rame de préparation pour le record du monde de vitesse. Avant la mise en service de la ligne TGV Est, la SNCF, Alstom et RFF avaient mis sur pied un programme d’étude sur “la très grande vitesse”. L’idée était d’observer le comportement d’une rame à une vitesse supérieure à 500 km/h. Le 3 avril 2007, les médias du monde entier sont présents pour assister au record de vitesse ferroviaire. La rame TGV, sortie des ateliers de Pantin, atteint 574,8 km/h.

Le Technicentre gère un parc mixte de 157 voitures Corail et 52 rames TGV Est Européen, dont 19 rames internationales dotées de motrices neuves et 33 rames TGV rénovées. Sa superficie est de 28 hectares, dont 19,5 pour les TGV et 8,5 pour les voitures Corail. Il s’étend sur une surface de 23 000 m² d’ateliers (52 km de voies). 600 agents maintiennent chaque année 52 rames TGV et 167 voitures Corail.

2020 - Le reveil de la belle endormie

Aujourd’hui, Pantin se distingue par son dynamisme et son attractivité. La commune a su tirer parti de son héritage industriel pour se réinventer. Des entreprises innovantes, des espaces culturels et des projets immobiliers fleurissent, faisant de Pantin un lieu de vie et de travail prisé. Ce renouveau s’inscrit dans une dynamique plus large de transformation de la Seine-Saint-Denis.

Portrait de Ginette from Corinne Dardé on Vimeo.

C’est en octobre 2022, pour son assemblée générale de création, que le Cercle de l’Orbite Galactique atterrit à Pantin. Il installe son siège social à la Maison Rouge de la rue Rouget de Lisle, l’ancien atelier de Mr Toulis construit en 1920. C’est aussi là qu’a eu lieu la Première Fondation de Psycho-Histoire. En janvier 2023, l’association organise la Global Game Jam, à la maion de quartier des Courtillères.

La Maison Rouge La Maison Rouge de la rue Rouget de Lisle

Désormais desservie par le métro et le tramway, à proximité d’une antenne universitaire et d’un centre hospitalier, la cité des Courtilllières jouit toujours de son parc central et côtoie les jardins ouvriers bordant le fort d’Aubervilliers.

“C’est toute la transformation de la ville qui se donne à voir. Une transformation urbaine. Pantin que l’on disait “la belle endormie” est en marche pour reconquérir son urbanisme. […] Ville populaire avant tout, Pantin entend le rester tout en accueillant des populations nouvelles issues des classes moyennes. […] Une ville à l’image de la société moderne. Pas une ville ghetto, pas une ville pour riches ou une ville pour pauvres”. Bertrand Kern, Pantin portrait d’une ville, Avant-propos, 2009

La Trotteuse lors festival Ludicité 2023.

En novembre 2023, le squat dit de “La Trotteuse”, installé dans une ancienne fabrique de montres, accueille le festival Ludicité de la M.A.D (la Mare aux Diables) et invite le C.O.G qui vient présenter ses jeux. Le festival a pour objectif de faire découvrir le monde ludique et les modes de vie alternatifs. La Trotteuse est un lieu d’habitation et d’activités, qui organise soirées de soutien, discussions, distribution de denrées alimentaires, cantines, magasin gratuit, atelier de réparation de vélos, ciné club …

Ludicité

En janvier 2024, le maire tente de proposer un nouveau nom à la ville qui en a tant changé, en ajoutant un “E” à la fin, pour Pantin.e Le monument figurant le nom de la ville sur la place de la pointe est vandalisé deux fois, mais l’idée a fait parler d’elle.

Pantine Pantin.e vandalisé.e, devant les entrepots des Magasins Généraux rénovés par BETC

En septembre 2024, le C.O.G continue son voyage galactique en déménageant à la Maison du Combattant, de la Vie Associative et Citoyenne du 19eme arrondissement de Paris, la MACVAC.

  1. Pantin, Deux mille ans d’histoire, Roger Pourteau, 1982, éditions messidor / temps actuel  2 3

  2. Implantation du Parti Communiste à Pantin, Jacques Boutonnet 

  3. 1945 - 1975, Une histoire de l’habitat, 40 ensembles “patrimoine du XXe siècle”, 2010, Beaux arts édition 

  4. La Seine-Saint-Denis, département communiste : sociologie politique et élus des premiers conseils généraux 

  5. Pierre Bolotte, Souvenirs et témoignages d’un préfet de la République (1944-2001), non publié, Fonds P.Bolotte Archives de la Fondation nationale des sciences politiques, FNSP. 

  6. FNSP, Centre d’histoire de Science-Po, fonds Pierre Bolotte, PB9, Ministère des relations avec les états associés, Instruction sur la conduite de l’action politique dans le cadre de la pacification au Vietnam, PV/CB/6. 

  7. Pantin, portrait d’une ville, de l’ère industrielle aux nouveaux grands moulins, 2009, Les éditions du Mécène - BNP Paribas